Lorsqu'il entendit Frioul FM annoncer que le Big Bang venait de se produire, Egrégore Le Virtuel eut un haussement d'épaules amusé. Il savait qu'il faudrait douze à quinze milliards d'années avant que l'onde de choc ne parvienne jusqu'à lui. Cela lui laissait encore le temps d'aller donner leur ration de gigas aux boutons de panurge de sa cybergerie. Et de fait, son statut de Grand Initiateur lui avait conféré la maîtrise du Temps et donné les clés d'une Éternité dont il assurait la gestion avec une rigueur qui frisait la parcimonie. A tous ceux qui lui réclamaient du temps, sous prétexte qu'ils en manquaient, il exigeait, non seulement une demande écrite justifiant la requête, mais aussi et surtout des preuves concrètes démontant que le temps accordé précédemment avait été intelligemment utilisé. Ce dernier point était fort habile, car il avait un côté dissuasif qui faisait fuir les quémandeurs répétitifs et les pleurnicheurs systématiques.
Fort du capital temps ainsi économisé, Egrégore n'eut donc aucun mal à rallier en toute sérénité le XIXème siècle où il n'aurait sans doute pas fait escale s'il n'avait repéré au large de Marseille l'archipel du Frioul, dans lequel il reconnut immédiatement un lambeau sauvegardé de l'Atlantide, ce continent englouti par erreur suite à une fausse manuvre du Grand Architecte de l'Univers. Il décida d'y jeter l'ancre de son web-surfer et d'y attendre, dans la méditation, "la Rencontre" que son sens de l'anticipation lui annonçait à la fois comme imminente et immanquable. Avec son sens inné de l'efficacité et conscient du fait qu'attendre c'est faire trop d'honneur à l'incertitude, il se consacra à la culture intensive de la gougnaffe, fruit du gougnaffier, dont le jus est réputé pour son absence de goût et son manque total d'intérêt. Et c'est en observant la croissance étonnante de ces végétaux à but non lucratif mais de forme suggestive, qu'il eut la double Révélation que :
primo, être virtuel n'impose pas d'être vertueux, et que, secondo, il n'était lui-même que le fruit anticipatif de l'imagination d'un certain Mayo, dont la naissance s'inscrivait parmi les événements marquants du XXème siècle qui se profilait à l'horizon.
Sur le premier point, Egrégore n'eut pas à chercher longtemps l'objet de son libertinage. Découvrant que p était un rapport sexuel, il fut rapidement en mesure de calculer le diamètre d'un cercle vicieux et de lui donner l'angle idéal pour passer par le centre du monde : le Frioul.
Or la baie regorgeait de sirènes nacrées dont le chant était si beau qu'il donnait des couleurs à la nuit.
Tel Ulysse au pays des merveilles, il jeta son dévolu sur une demi-douzaine d'entre elles qu'il fertilisa à distance grâce à la carabine téléphornique. Chacune d'elle mit au monde une perle. Egrégore choisit la plus belle et décida qu'elle symboliserait le Frioul comme une "Perle posée sur le nombril du monde".
Archéologue du futur et conscient qu'on ne sait jamais ce que le passé nous réserve, il substitua à la culture des gougnaffes celle des Aprilis, fleurs dont le rayonnement, associé à la consommation de l'uf au riz (spécialité culinaire de l'endroit), étendit sur l'île le voile d'une félicité intense et définitive. C'était comme si un optimicien avait livré une cargaison de lunettes roses ! Mieux même car, si l'illusion du bonheur suffit à faire oublier la vie, Egrégore lui, venait de créer les conditions d'un bonheur authentique qui la justifiait.
Au ciel, l'étrier d'Orion pénétrait le triangle de Vénus; la fusion entre le Virtuel et le Réel était donc imminente, pour ne pas dire évidente. Elle engendrerait la Création Artistique, enfant ô combien naturel et qui se nourrit essentiellement de Liberté. D'un seul coup, changeant d'horizon, l'Homme décollait l'il de son microscope et le posait sur un télescope. Un événement majeur allait même lui offrir mieux. En effet, Egrégore cherchait un fils spirituel digne de recevoir "Le Message". Ce fut Jean-Claude Mayo, celui-là même qui l'avait imaginé ! Cette fabuleuse Rencontre offrait donc au Monde ce cas unique de paternité réciproque !
Jean-Claude Mayo (JCM pour les intimes, mais dont peu savent que ces trois lettres dissimulent la devise "Jamais Comme Maintenant"), était arrivé d'une île lointaine avec justement l'idée de déguster l'instant présent à chaque fois qu'il se présenterait.
Coïncidence, Egrégore était sur la même longueur d'ondes ce jour-là. Le Dialogue put enfin s'établir et le Message être convoyé entre le Virtuel et le Réel par le biais de l'Imaginaire ! Le triangle magique était né, on ne parla plus de discipline mais de triscipline (ce qui ne veut pas dire que Mayo pédalait sur un de ses trisciples). Mais Mayo ne fit pas qu'enregistrer le Message, il alla bien au-delà : il prit possession de la pointe de Brégantin sur l'archipel du Frioul et y fit construire une somptueuse demeure dédiée aux plaisirs qu'il prenait derrière les fornifications. Il y fit graver le Message dans la pierre du Brégantin à un endroit que même la rumeur publique ne saurait atteindre.
Heureux celui qui le découvrira et plus heureux encore celui qui saura le déchiffrer...
Porteur de cette grande Révélation, JCM sut que le moment était venu de proclamer sans ambages la , république "AD LIB" trouvant dans ces trois dernières lettres sa vocation multiple et clairement exprimée : LIBre, LIBertaire, LIBérale, LIBertine. Le projet était vaste dans sa simplicité : réunir dans une république virtuelle toutes les énergies latentes, tous les principes actifs insoupçonnés, et les catalyser en les multipliant dans un délire auto-proclamé où rien n'est exclus sauf l'exclusion ("Un seul soleil, chacun son ombre").

Son appel fut entendu au-delà de toute espérance car il avait su le faire porter par le meilleur des messagers : l'Humour enrobé de Joie de Vivre (tant il est vrai qu'une crème désopilatoire n'a jamais fait tomber le poil qu'on a dans la main). Egrégore, conscient d'avoir passé le flambeau à Celui qui le méritait, se retira dans son TGV (ce "Toujours à Géométrie Variable" qu'on utilise surtout pour mesurer la durée des passions éternelles). C'était normal; quand on est né dans le Virtuel on est tenté d'y revenir; mais, facétieux en diable, il s'explosa en millions d'étincelles qui trouvèrent refuge dans l'imaginaire de millions d'hommes. Elles y brillent encore, mais avec modestie, attendant que Jean-Claude Mayo, ayant décrypté le message, vienne les y chercher pour en faire, par synergie, un fabuleux feu d'artifice, une boule de feu qui ne sera rien d'autre que le Soleil éternel de la .

En attendant, lumineux comme un rayon de soleil traversant un verre de rosé, Mayo put enfin se consacrer à la culture de l'Aprilis dont il avait découvert qu'elle était la seule plante à pouvoir se développer sur la pierre exigeante du Frioul; et pour cause : Aprilis, il l'avait immédiatement perçu, est l'anagramme de, vous savez, ce fruit non-défendu qui se multiplie quand on le partage... le Plaisir !